mardi 28 février 2012

L'Arbre aux mains d'or (épisode 02)

Voilà le second épisode de cette nouvelle, L'Arbre aux mains d'or... Découvrez en un peu davantage sur l'étrange personnalité de l'oncle du jeune narrateur (que j'interprète tant bien que mal !)... Cette fois, j'ai choisi Satie pour illustrer musicalement ce qu'il se passe dans la tête de cet enfant !
Bonne écoute !


L'Arbre aux mains d'or (suite)...




Tonton Olivier, depuis qu'il est tout petit, il est amoureux d'un machin qu'on appelle "culture". Du coup, à côté de son travail, il passe beaucoup de temps avec la culture. Maman m'a expliqué que ça voulait dire qu'il est passionné par son histoire – "avec un petit et un grand H" – en particulier, celle des personnes comme lui, les sourds ; elle m'a dit aussi qu'elle l'a jamais connu autrement qu'avec un livre dans les mains ou prêt à partir pour un musée, un cinéma ou un théâtre. Elle m'a dit que dans tout ça se cachait la culture, ou plutôt les cultures parce qu'y en n'a pas qu'une mais des milliers, voire des millions, peut-être même qu'il y a autant de cultures que de personnes dans le monde.
La culture des sourds, c'est celle qui raconte comment un monsieur qui était abbé, Charles Michel de L'Épée, a inventé l'alphabet en signes et a fait l'école aux sourds d'il y a très très longtemps ; celle qui dit que ces gens-là ont été traités comme des imbéciles, des fois même presque pire que des bêtes, pendant des années et des années ; celle qui explique comment on les a mal traîtés, eux et d'autres, à chaque fois qu'il y a eu la guerre ; celle, enfin, qui crit comme si elle était en colère parce le monde abuse vachement d'eux alors qu'ils vivent comme tout le monde.
En plus, Tonton, c'est quelqu'un qui aime pas vraiment bouger de chez lui. Il aime pas voyager. Il se sent toujours mal avant de partir en voyage ou avant de changer de maison. Il se passe la même chose avec les petits arbres, c'est compliqué de leur faire comprendre qu'ils vont vivre ailleurs et qu'ils doivent s'habituer à l'endroit où ils vont. Ça demande beaucoup de temps et d'amour pour que leur racines prennent dans une autre terre que celle de leur chambre. Il faut de la force et du courage à Tonton pour qu'il vive bien une installation en terre étrangère.

Depuis trente-trois ans, la vie s'est arrangée autour de l'Arbre pour que tout soit normal, commode, facile. C'est mon père qui me l'a raconté.
Quand il a eu trois ans, Tonton Arbre est tombé malade. Une maladie très grave de la tête, une méningite. Il en est sortie en vie mais avec une autre maladie qui peut pas se guérir parce qu'en fait c'est pas une maladie. On appelle ça un handicap. Papa m'a dit que quand on sait qu'on a un handicap il faut apprendre à vivre avec. Que ce soit celui qui a le handicap autant que ceux qui vivent avec lui. Papi et Mamie, quand Tonton est devenu handicapé, ils savaient vraiment pas comment faire pour "vivre avec". Alors, ils sont allés voir le docteur pour savoir ce qu'ils pouvaient faire de mieux. On leur a dit qu'il existait un langage des mains pour les sourds mais que ce n'était vraiment pas bien parce que leur fils risquait de rien apprendre, d'être bête comme une paire de moufles. Il a dit que ce serait mieux de le mettre dans une école normale, avec des enfants comme les autres pour que Tonton puisse apprendre à parler comme tout le monde, pour qu'il puisse s'intégrer.
Papa, il dit toujours que c'était "un connard de première" ce docteur, que ça n'a pas du tout aidé son frère, que ça lui a fait du tord. Qu'à cause de ce "médecin à la manque", Tonton a pris beaucoup de retard, même si, maintenant, ce retard a drôlement bien été compensé. Papa comprend pas comment les chefs de la France ont pu laisser éduquer des enfants sourds comme ça ; pourquoi ils ont cru que la langue des signes c'était mauvais au point de l'interdire pendant très longtemps ; comment on pouvait se permettre de faire croire à des familles qu'un enfant sourd ça pouvait réentendre s'il le voulait.
Papi et Mamie ont arrêté de faire confiance au docteur quand il leur a dit que Tonton devait être opéré des oreilles et de la tête. Ils ont dit : "Oui, d'accord ! Mais c'est sûr que notre fils va entendre après l'opération ?" Et le docteur a répondu : "Vous savez, dans ce genre d'opération, il y a peu de risques d'échec." Alors ils ont dit : "OK ! Mais il y en a ?" Et lui a dit, penaud : "Je ne vais pas vous mentir. Il y a quelques risques." Du coup, ils lui ont mis en pleine face : "Si c'est comme ça, merci mais non merci... on ne vous dit pas au revoir et on ne vous salut pas." Après ils ont fait de leur mieux pour apprendre cette langue en cachette. Ils sont même allés jusqu'en Amérique, là où c'était pas interdit, pour apprendre mieux. Et ils ont tout fait autant que possible pour que Tonton Arbre devienne ce qu'il est aujourd'hui. Je suis fier de mon papi et de ma mamie.
Et puis jusqu'à hier, mon tonton avait réussi à organiser le monde autour de lui. Il s'était fait plein d'amis comme lui et plein d'autres pas comme lui. Il vivait avec une très jolie dame au longs cheveux bruns qui font des vagues, sourde elle aussi. Une jolie dame même pas jalouse de la culture, en plus. Alors...
Il avait réussi à "vivre avec" et ça faisait plaisir à ses parents et à son frère.

Quand je dis que Tonton est magique, je ne mens pas. Il sait vraiment faire plein d'autres trucs avec ses mains. Des trucs d'illusionniste...
Il sait faire, avec des grands gestes de buisson dans le vent, apparaître des colombes avec un grand foulard blanc ; il sait, en soufflant de son souffle de sorcier, faire pousser à toute vitesse des fleurs de Paradis dans les poches de son gilet ; il arrive à sortir des pièces de monnaie de mon nez, de mes oreilles, de ma bouche, du vide entre lui et moi ; il connaît le moyen de transformer l'eau du robinet en du vin qui rendrait alcoolique n'importe qui, en utilisant le journal froissé de la veille... Il est super fort pour me faire croire à son pouvoir d'enchanteur et faire des tours. Parce qu'en plus de remplir sa tête avec de la culture, des histoires ou des images, il s'est débrouillé pour mettre des gestes qui ne veulent rien dire mais qui font rêver.
Papi trouve que Tonton est tellement bon magicien qu'il dit sans arrêt que si le grand Houdini était encore en vie, il aurait tout fait pour qu'il le prenne comme apprenti. Papi ne trouve pas que son fils ait gâcher sa vie en devenant pépiniériste – au contraire, il aurait plutôt tendance à en être fier ; il disait souvent qu'il préférait ça à maquereau ou dealer – c'est juste qu'il aurait bien aimé pouvoir dire au gens, avec un air prétentieux, qu'il a un artiste dans la famille. Un artiste qui réussi. Un artiste reconnu, une célébrité... Le pauvre !
La célébrité, mon tonton l'a eu. Quelques articles dans les journaux et deux-trois minutes à la télé. Le souci, c'est qu'on peut pas dire que ça ait fait plaisir à Papi. Pourtant, y avait pas de quoi être gêné. C'est grâce à sa magie qu'il s'est fait connaître un peu, son fils. Malheureusement, c'était un tour de trop qui a pas plu à grand monde, surtout pas au patron de la bijouterie. Le coup de faire disparaître des pierres précieuses en pendentifs ou en anneaux de mariage, des bagues et des chaînes en or blanc, jaune et rose ou encore des figurines en argent ou en étain dans ses poches et un grand sac de sport, bizarrement, les gens n'ont pas trouvé ça très drôle, autant à la police qu'au tribunal. J'ai pas compris pourquoi. Moi, j'ai trouvé ça rigolo.
(...)

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